Dans un tel scénario, fortement décarboné, les besoins en électricité augmenteront en Suisse de près de 50% pour atteindre environ 90 TWh/an. Les renouvelables, y compris l’hydraulique, peuvent y arriver techniquement. Mais c’est là qu’il faut faire attention : en ne misant que sur le PV, le déficit hivernal sera renforcé alors que nos importations pourraient devenir critiques, suite à notre exclusion du marché européen de l’électricité et à la priorité qui sera donnée à nos voisins pour leurs propres besoins. Les solutions pour minimiser ce déficit sont multiples : sans passer par l’électricité, on peut stocker plus de chaleur de l’été pour l’hiver, par exemple au travers de la géothermie. Sinon, il s’agit de rehausser ou créer de nouveaux barrages, d'accélérer la pose de panneaux solaires, d’utiliser les façades PV (plus performante qu’un toit en hiver), et de déployer le PV alpin jusqu'à trois fois plus productif en hiver.
Néanmoins, le grand oublié de l’éventail de solution est souvent l'éolien. Contrairement au PV de plaine, l’éolien produit beaucoup plus en hiver (65 à 70% est produit sur le semestre hivernal). Plusieurs études, dont une en cours dans notre laboratoire, montrent la complémentarité saisonnière idéale de l’éolien et du PV, gérable avec le pompage-turbinage et les batteries du futur parc de véhicules électriques. Le potentiel éolien Suisse a été réestimé récemment à près de 30 TWh/an [4]. Suisse Eole a présenté [5] un plan pour 6 TWh/an d’éolien d’ici 2030 (soit ~ 1000 éoliennes moyenne, un nombre inférieur aux 1300 déjà en service en Autriche…). Suisse Eole y mise notamment sur des projets d’éoliennes uniques portés par des comités citoyens, communes ou entreprises qui bénéficieraient directement d’une production locale. Les prix du courant éolien en Suisse sont certes moins favorables que dans les zones très ventées du globe (8 à 15 cts/kWh vs moins de 4 cts/kWh). Mais ils sont aujourd’hui attractifs et l’éolien devient très stratégique pour la production hivernale dans le contexte Suisse.
Ni l’éolien, ni le PV alpin d’ailleurs, ne présentent un risque pour la biodiversité, contrairement au réchauffement. Le seul argument qu’on peut leur opposer est l’impact paysager. La Suisse a importé pour des centaines de milliards de francs d’énergie fossile et a externalisé la majorité de sa pollution et de ses émissions de CO2 (produits importés). La population, l’économie et la nature ont tout à gagner à soutenir une transition énergétique rapide, aux coûts contrôlés. Il s’agit donc d’apprendre à apprécier une énergie éolienne locale, même avec quelques modifications de notre paysage : c’est un effort abordable au regard des enjeux.
[1] BP Statistical Review of World Energy 2022. Dans le calcul de l’énergie primaire de BP, les valeurs d’énergie chimique des fossiles sont comptabilisées, et les productions électriques en kWh du nucléaire et des renouvelables sont multipliées par 2.6. Le chiffre de 250'000 TWh est basé sur une croissance de 2% des besoins en énergie primaire, contre 2.5% sur les 20 dernières années.
[2] Les GW ou Gigawatt (1 million de kW) correspondent à la puissance « nominale ». L’énergie obtenue annuellement dépend du nombre d’heures de fonctionnement, allant de 1000 à 2500 heures pour le solaire, de 2000 à 5000 heures pour l’éolien, et de 7000 à 8000 heures pour le nucléaire (mais pas en France actuellement). Un parc solaire alpin suisse de 1 GW produirait annuellement environ 1 GW x 1600 h, soit 1.6 TWh.
[3] Les quantités d’éolien et solaire sont indicatives. Le solaire va prédominer car ses coûts de productions seront inférieurs à ceux de l’éolien. Par contre, leur complémentarité temporelle nécessite, comme pour la Suisse, d’avoir une part significative d’éolien.
[4] 72772.pdf (admin.ch)
[5] Plan d'action 2030 - Suisse Eole (suisse-eole.ch)